L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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QUI ÉTAIT NAPOLÉON ???


Voici donc la réponse que donna Las Cases à cette question.

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Napoléon est la première, la plus étonnante destinée de l'Histoire. C'est l'homme de la renommée, celui des prodiges, le héros des siècles. Son nom est dans toutes les bouches, ses actes agitent toutes les imaginations, sa carrière demeure sans parallèle. Quand César médita de gouverner sa patrie, César en était déjà le premier par sa naissance, ses richesses [3]; quand Alexandre entreprit de subjuguer l'Asie, Alexandre était roi et fils d'un roi qui avait préparé ses succès [4]. Mais Napoléon s'élançant de la foule pour gouverner le monde se présente seul, sans autre auxiliaire que son génie [5]. Ses premiers pas dans la carrière sont autant de merveilles [6].

Bonaparte au pont d'Arcole
Campagne d'Italie, Bonaparte au pont d'Arcole

Il se couvre aussitôt de lauriers immortels et règne dès cet instant sur tous les esprits: idole de ses soldats, dont il a porté la gloire jusqu'aux nues, espoir de la patrie qui dans ses angoisses pressent déjà qu'il sera son libérateur; et cette attente n'est point trompée. A sa voix expirante, Napoléon interrompant ses mystérieuses destinées, accourt des rives du Nil: il traverse les mers au risque de sa liberté et de sa réputation [7]; il aborde seul les plages françaises. On tressaille de le revoir. Des acclamations, l'allégresse publique, le triomphe le transportent dans la capitale. A sa vue, les factions se courbent, les partis se confondent; il gouverne et la révolution est enchainée [8].

Le seul poids de l'opinion, la seule influence d'un homme, ont tout fait. Il n'a pas été besoin de combattre; pas une goutte de sang n'a coulé, et ce ne sera pas la seule fois qu'un tel prodige signalera sa vie [9]. A sa voix, les principes désorganisateurs s'évanouissent, les plaies se ferment, les souillures s'effacent. La création semble encore une fois sortir du cahot. Toutes les folies révolutionnaires disparaissent, les seules grandes et belles vérités demeurent [10]. Napoléon ne connait aucun parti, aucun préjugé n'entache son administration. Toutes les opinions, toutes les sectes, tous les talents se groupent autour de lui: un nouvel ordre de choses commencent. La nation respire et le bénit, les peuples l'admirent [11], les rois le respectent, et l'on est heureux, l'on va s'honorer de nouveau d'être français [12].

Le 18 Brumaire
Coup d'État du 18 Brumaire

Bientôt on l'éleva sur le trône: il devint Empereur. Chacun connaît le reste [13]. On sait de quel lustre, de quelle puissance il honora sa couronne. Souverain par le choix des peuples, consacré par le chef de la religion, sanctionné par la main de la victoire, quel chef de Dynastie rassembla jamais des titres aussi puissants, aussi nobles, aussi purs ! qu'on recherche !...

Tous les souverains se sont alliés à lui par le sang ou les traités. Tous les peuples l'ont reconnu. Anglais, si seuls vous faites exception, cette exception n'a tenu qu'à votre politique; elle n'a été qu'une affaire de forme; bien plus, vous êtes précisément ceux qui aurez vu dans Napoléon les titres les plus sacrés, les moins contestables. Les autres puissances auront pu obéir peut-être à la nécessité. Vous, vous n'auriez fait que vous rendre à vos principes, à votre conviction, à la vérité [14]. Car telles sont vos doctrines que Napoléon quatre fois l'élu d'un grand peuple a dû nécessairement, malgré vos dénégations publiques, se trouver souverain dans le fond de vos cœurs. Descendez dans vos consciences...

Or Napoléon n'a perdu que son trône. Un revers l'en a arraché, le succès l'y eut fixé pour jamais. Il a vu marcher contre lui 1100 mille hommes; leurs généraux, leurs souverains ont proclamé partout qu'il n'en voulaient qu'à sa seule personne. Quelle destinée... il a succombé, mais il n'a perdu que le pouvoir; tous ses caractères augustes lui demeurent, et commandent les respects des hommes. Mille souvenirs de gloire le couronnent toujours, l'infortune le rend sacré, et, dans cet état de choses, le véritable homme de cœur n'hésite pas à le considérer comme plus vénérable sur son rocher qu'à la tête de 600 mille hommes, imposant des lois.

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Dans cette phrase qui conclut l'harangue de Las Cases se dessine le début du culte napoléonien, celui d'un Thémistocle trahi perfidement par un ennemi sans coeur, qui l'enchaîna ensuite à un rocher comme un Prométhée des temps modernes. Le thème a été abondamment repris par le même auteur dans son célèbre Mémorial de Sainte-Hélène, qui a été le Best-Seller du XIXème siècle.

Albert Benhamou
Décembre 2010

Le tombeau de Napoléon
La silhouette de Napoléon veillant sur son tombeau à Sainte-Hélène

Notes:

[3] César était issu de la famille patricienne, Iulia ou Julia, qui se disait descendre de la déesse Vénus !

[4] Alexandre était le fils du roi Philippe II de Macédoine, mais il se disait lui-même descendre du dieu Zeus !

[5] La famille Bonaparte était de petite noblesse corse. Cette circonstance, le seul avantage que l'on puisse trouver dans le lancement de sa carrière, avait permis au jeune Napoléon de bénéficier d'une éducation sous le règne de Louis XVI. C'est sur les bancs du collège militaire de Brienne qu'il passa une partie de son enfance et son adolescence. Son talent pour les Mathématiques le conduisirent à l'École Militaire de Paris d'où il sortit avec un brevet de lieutenant d'Artillerie. Rien dans son parcours ne laissait présager une quelconque carrière autre que celle d'un banal officier.

[6] Le début de la carrière de Napoléon a été remarquable. C'est en faisant fuir la flotte anglaise qui tenait Toulon depuis des mois, puis en sauvant la République, menacée à Paris par une révolte royaliste, qu'il gagna en popularité et obtint le surnom de "général Vendémiaire". Mais le Directoire, mené par des hommes peu scrupuleux et corrompus, se méfia de cette popularité et, non sans arrière-pensée, envoya le jeune général ouvrir un second front contre l'Autriche, en Italie. La tâche relevait cependant de l'impossible, vu l'état de grand dénuement de "l'armée" qu'on lui avait laissé commander. Car tout l'effort de la guerre était plutôt concentré sur l'armée du Rhin qui se frottait depuis longtemps contre les Autrichiens, sans obtenir de progrès notables. La campagne d'Italie du général Bonaparte fut sa meilleure campagne, où son génie stratégique et tactique, en plus de son pouvoir de diriger des troupes à travers un vaste théâtre d'opérations, a pu se dévoiler aux yeux du monde. Ses succès foudroyants donnèrent le surnom de Furia Francese à son armée et forcèrent l'Autriche à envoyer armée après armée à sa rencontre, en vain. Finalement, ayant épuisé l'effort de guerre de son ennemi, et menaçant de pénétrer sur son propre territoire, Bonaparte obligea l'Autriche à capituler et lui imposa ses propres termes. Couvert de gloire, Bonaparte rentra à Paris, encore plus populaire qu'il en était parti ! Alors qu'il se trouvait en Egypte, pour une autre campagne immortelle, on fit appel à lui pour renverser le régime corrompu du Directoire. Ce coup d'état du 18 Brumaire, confirmé ensuite par plébiscite, consacra Bonaparte comme Premier Consul, et lui remit les rênes pour présider aux destinées de la France. Il n'avait alors que 30 ans.

[7] Le général Bonaparte a été appelé en France par une faction qui voulait mettre un terme au Directoire. Mais son départ d'Egypte n'était pas chose facile car l'amiral Nelson régnait en maître sur la Méditerranée et avait déjà réussi l'exploit de couler l'ensemble de la flotte française, ancrée à Aboukir, lors d'un coup audacieux qui préludait celui, plus fameux, du "coup de Trafalgar". Bonaparte et son armée étaient alors destinés à croupir en Egypte et à s'éteindre à petit feu, enveloppé par les sables brûlants du désert. Cependant, il réussit à s'échapper à bord d'un petit navire, et à passer entre les mailles du filet tendu par Nelson, pour accoster sur les côtes de France sans encombre.
Bataille navale d'Aboukir
Bataille navale d'Aboukir


[8] Le Consulat est considéré comme ayant mis fin à la Révolution. Pourquoi? Depuis 1789, la France avait vu se succéder plusieurs régimes, à coups de révolutions. En effet, la révolution de 1789 avait mis fin à la Monarchie Absolue. La fuite du roi Louis XVI à Varennes, en juin 1792, mit fin aux espoirs de la Monarchie Constitutionnelle commencée en 1791, et déclencha les déchaînements extrémistes avec l'assaut des Tuileries, l'incarcération de la famille royale au Temple, l'invasion ennemie, la guerre de Vendée, les massacres de Septembre 1792, jusqu'à l'avènement de la Terreur sous Robespierre. La révolution du 9 Thermidor mit un terme à ces excès et ouvrit la voie au Directoire, toujours sous la menace d'une invasion étrangère et de la guerre civile dans l'Ouest et dans le Midi. C'est d'une France exténuée par 10 ans d'instabilité, avec des guerres tant au dehors qu'au dedans, que le jeune Bonaparte hérite à 30 ans. Son Consulat permit de mettre un terme aux guerres, et de redresser la France. Même l'Angleterre signa la paix avec le traité d'Amiens !

[9] Las Cases fait ici allusion aux retours de Napoléon au pouvoir. Autant à son retour d'Egypte, qu'au coup d'Etat du 18 Brumaire, que plus tard lors du retour de l'île d'Elbe, son ascension s'était faite sans faire couler de sang. L'immense popularité de sa personne suffisait à recueillir les suffrages et rassembler les masses autour de lui.

[10] Tout en éliminant les excès de la Révolution, Napoléon s'est porté garant des grands principes fondamentaux de la Révolution comme l'égalité devant la Loi, la méritocratie, la liberté de culte, et ainsi de suite.

[11] Des poètes tels que Goethe en Allemagne et Byron en Angleterre ont loué Bonaparte, alors que des compositeurs tels que Beethoven lui ont consacré des oeuvres. Cependant, les attitudes ont quelquefois changé, tant en France qu'ailleurs, lors de la proclamation de l'Empire, surtout lorsqu'il donna suite à des ambitions dynastiques et à une politique de plus en plus expansionniste.

[12] Ce sentiment en Europe était cependant mû par la crainte et, lorsque l'occasion se présenta, à partir de 1813, les renversements d'alliance se multiplièrent pour laisser la France seule contre une coalition continentale qui fit marcher une armée d'un million de soldats contre Napoléon.

[13] Ce raccourci de l'Histoire, de la part de Las Cases, cache peut-être un sentiment partagé par beaucoup d'autres à cette époque, à savoir que le Premier Consul Bonaparte n'aurait pas dû devenir l'Empereur Napoléon.

[14] Las Cases pensait sans doute faire appel à l'esprit libéral anglais qui, le seul régime en Europe à être bâti sur des droits inaliénables et un parlement, était bien éloigné des régimes monarchiques absolus, où régnaient l'arbitraire et les droits de la naissance. Après avoir cotoyé Napoléon dans son intimité pendant des mois de captivité, Las Cases le considérait comme le souverain le plus libéral.





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