LES SAULES
DU TOMBEAU
Les funérailles de 1821 Peu de temps avant sa mort, le 5 mai 1821, Napoléon avait souhaité que son cercueil soit renvoyé en France pour être mis en terre près des bords de la Seine, ou qu'il soit envoyé auprès de sa famille exilée à Rome. Mais les autorités britanniques en avaient décidé autrement: c'est à Sainte-Hélène qu'il devait être enterré, avec les honneurs d'un général. Prévoyant cette éventualité, il avait choisi pour lieu de sépulture un val ombragé, Sane Valley, qui cachait une source d'eau pure de laquelle on remplissait chaque jour quelque vase d'argent pour son usage personnel à Longwood. Le major Anthony Emmett, qui avait quelque admiration pour l'illustre prisonnier, fut chargé de creuser la tombe. On lui avait donnépour instruction de satisfaire au choix de Napoléon, sous les saules près de la source d'eau. L'officier repéra un coin ombragé près de deux saules, dont un était tellement penché qu'il caressait presque le sol de ses feuillages en suspens. Emmett fit creuser la terre à cet endroit précis, en-dessous de ce saule incliné, de sorte que la pierre tombale serait recouverte et comme entourée par les longs bras de ce pleureur du règne botanique. Les funérailles eurent lieu le 9 mai 1821. ![]() Funérailles de Napoléon le 9 mai 1821 Le Gouverneur, Sir Hudson Lowe, envoya bientôt un rapport privé au ministre Lord Bathurst, le 14 mai 1821: Two large willow trees overshadow the tomb, and there is a grove of them in a little distance below it. [...] I shall cause railing to be put round the whole of the ground, it being necessary even for the preservation of the willows, many sprigs from which had already began to be taken by different individuals who went down to visit the place after the corpse was interred. Traduction: Deux grands saules ombragent la tombe, et il y a un bosquet de ces arbres un peu plus loin en contrebas. [...] Je ferai faire mettre une clôture autour de tout l'endroit, celle-ci étant rendue nécessaire même pour la préservation des saules, car de nombreux branchages ont déjà commencé à en être pris par différents individus qui sont descendus pour visiter le lieu après que le cadavre ait été enterré. ![]() Enclos
entourant la tombe
Docteur Antommarchi, dans son livre Les derniers momens de Napoléon (1825), rapporta ainsi la scène de l'enterrement du 9 mai: Pendant que l'on achevait ces travaux, la foule se jetait sur les saules dont la présence de Napoléon en avait déjà fait un objet de vénération. Chacun voulait avoir des branches ou des feuillages de ces arbres, qui devaient ombrager la tombe de ce grand homme, et les garder comme un précieux souvenir de cette scène imposante de tristesse et de douleur. Hudson et l'amiral, que blesse cet élan, cherchent à l'arrêter: ils s'emportent, ils menacent. Les assaillants se hâtent d'autant plus, et les saules sont dépouillés jusqu'à la hauteur où la main peut atteindre. Hudson était pâle de colère ; mais les coupables étaient nombreux, de toutes les classes, il ne put sévir. On peut cependant émettre un doute sur la scène rapportée par Antommarchi, qui n'était plus à un mensonge près dans son ouvrage. En effet, il est bien certain que les saules ont été dépouillés après l'enterrement, mais surtout dans les jours qui ont suivi la cérémonie qui, elle, s'est déroulée dans le recueillement et n'a sans doute pas été dérangée par les chercheurs de reliques, et sous les menaces du Gouverneur. D'autant que des officiers britanniques ont eux aussi pris plus tard des branches de ces saules, comme nous le verrons ici. En tout cas, ni Bertrand, ni Montholon, ni Saint-Denis ne parlèrent du coup de colère du Gouverneur le jour de l'enterrement. Marchand a lui aussi rapporté cette scène. Mais, ayant écrit ses mémoires autour de 1840, et les ayant finies en octobre 1842, il a très certainement emprunté des souvenirs à l'ouvrage d'Antommarchi car il se fait l'écho de certaines erreurs, par exemple l'emplacement est-ouest de la tombe, au lieu de sud-nord comme confirmé en 1840... quoique... un autre témoignage anglais de 1838 fait lui aussi état d'une direction "presque" est-ouest ! (récit de voyage du lieutenant Robert Stewart à St. Hélène en 1838, publié dans The Museum of Foreign Literature, Science and Art, octobre 1839). Je pense que Marchand aura simplement emprunté à la scène racontée en 1825 par Antommarchi: La cérémonie achevée, beaucoup de personnes présentes se jetèrent sur les saules pour en détacher des branches qui déjà devenaient un objet de vénération; le Gouverneur les fit aussitôt éloigner dans l'intérêt de conservation des saules qui auraient été dépouillés à l'instant même par ceux qui déjà voulaient concerver un souvenir de cette triste cérémonie. [...] Avant de retourner à Longwood, le Gouverneur permit que nous prissions chacun une branche des saules qui devaient à l'avenir ombrager le corps de l'Empereur. ![]() Le
val du tombeau en 1828
Saint-Denis, dit le mameluck Ali, a écrit ses souvenirs après son retour de Sainte-Hélène, probablement avant 1830 lorsque sa mémoire était encore fraîche. Mais certains détails ne furent pas corrects, par exemple lorsqu'il a écrit: La fosse, au bord de laquelle les soldats de marine viennent de déposer le cercueil, a été creusée au milieu d'un bouquet de quatre à cinq saules. On sait, d'après le rapport du Gouverneur, écrit lui en mai 1821, que la tombe se trouvait près de deux grands saules, mais qu'il existait un bosquet de ce arbres un peu plus loin. La taille de ces grands saules, par leurs branchages très impressionnants, avaient pu faire croire à Saint-Denis qu'il existait plusieurs saules. De fait, les gravures ultérieures qui ont essayé de représenter la scène ont souvent exagéré le nombre des saules jusqu'à créer un bosquet autour du tombeau. Le 10 mai, l'enseigne Duncan Darroch, qui a assisté à l'enterrement de Napoléon et fut en charge de la surveillance de la tombe par la suite, a écrit à sa mère: The spot he chose is in the highest extremity of a small garden belonging to Mr. Torbett. It is completely overhung, for a space of about thirty yards or more, with five or six weeping willows. Traduction: L'endroit qu'il a choisi se trouve à l'extrémité la plus élevée d'un petit jardin appartenant à M. Torbett. Il est complètement surplombé, dans un espace de 30 yards ou plus, par cinq ou six saules. Ce témoignage confirme celui du Gouverneur, à savoir que la tombe avait été placée dans l'endroit surélevé du jardin. Mais Darroch nous renseigne que les saules donnaient l'impression de recouvrir tout l'endroit alors que le Gouverneur était plus précis dans son rapport: deux grands saules recouvraient la tombe, et les autres (sans doute de taille moins importante) étaient réunis sous forme de bosquet un peu plus bas. Le jardin n'était que d'une trentaine de mètres d'après Darroch et on peut donc imaginer que deux grands saules d'un côté et un bosquet de saules de l'autre purent donner l'impression que tout l'endroit était recouvert de saules, ce qui expliquerait le "souvenir" de Saint-Denis. ![]() Visiteurs
au tombeau de Napoléon
|
|