LES SAULES
DU TOMBEAU
L'exhumation de 1840 Dans les années qui suivirent l'enterrement de Napoléon, l'imagerie populaire s'est saisie de cette scène ô combien mélancolique, de saules qui ombragent la tombe du héros. Le ton d'alors était au Romantisme qui, à la recherche de symboles, avait embrassé l'imagerie populaire de cette scène. Certains artistes ont même représenté les saules comme épousant la silhouette, si familière à travers toute l'Europe, de Napoléon coiffé de son bicorne légendaire. ![]() ![]() Images
populaires du tombeau
La « petite isle » avait été agrandie par la présence de la dépouille de Napoléon en sa terre. Dans les années qui suivirent, de nombreux voyageurs ont continué de ramener de Sainte-Hélène un morceau du saule qui recouvrait sa tombe, et pliait déjà sous l'effort depuis 1821. Or il passait des centaines de navires chaque année, et ce jusqu’au percement du canal de Suez plus d’un demi-siècle plus tard. L'état des pauvres saules allait forcément se dégrader avec le temps. De nombreux visiteurs, pas seulement français, se rendaient à Longwood et à la tombe de Napoléon. Voici l'extrait d'un récit de voyageur où sont mentionnés les saules : Et plus bas, beaucoup plus bas, au bout d’un chemin en zigzag, une touffe de saules pleureurs. [...] Quatre saules pleureurs couvrent la pierre funéraire. Un seul est planté à la tête, et son tronc couché vers les pieds porte ainsi sa masse de verdure droit au-dessus du monument. (Paris ou le Livre des Cent et Un, 1833) Mais, en 1839, le grand saule principal, celui au-dessus de la tombe, qui paraissait multiple aux témoins de 1821 du fait de son feuillage remarquable, était devenu en piteux état, comme un arbre mort:The bare and nearly leafless willows wave slowly over a monumental stone. (témoignage de Mme Postans, The Oriental Herald and Colonial Intelligencer, 1839) Traduction: Les saules nus et presque sans feuille ondulent lentement au-dessus d'une pierre monumentale. Il faut dire que l'on faisait un commerce de pousses de ces saules. En effet un voyageur rapporta qu'en 1838, malgré les interdits de prélever des morceaux de ces arbres, un jeune garçon se tenait près de l'enclos de la tombe et vendait aux gens de passage des boutures, déjà avec des germes, dans des récipients remplis de terre humide, prêts à être emportés et replantés ailleurs de part le monde (récit de voyage du lieutenant Robert Stewart à St. Hélène en 1838, publié dans The Museum of Foreign Literature, Science and Art, octobre 1839). ![]() Sane
Valley en 1840, avec le tombeau au premier plan et Longwood sur les
hauteurs à gauche en second plan
(source: Fowler, 1863) En 1840 fut décidé le rapatriement des cendres de Napoléon en France. Une expédition, commandée par le prince de Joinville, fils du roi Louis-Philippe, arriva à Sainte-Hélène en octobre 1840, et retire de la terre d'exil le cercueil du grand homme. Entretemps, au lieu de sa sépulture, le grand saule était tombé, son voisin ne se portait guère mieux, mais le bosquet de saules d'à côté existait encore. De plus, tout autour de l'enclos, la femme d'un gouverneur de Sainte-Hélène, Mme Dallas, avait planté des cyprès pour réhausser le cadre du lieu historique. ![]() La vallée du tombeau en 1840 Les anciens compagnons d'exil de Napoléon purent témoigner de ces changements survenus depuis leur départ de 1821. Tout d'abord Saint-Denis: Ce lieu n'est plus ce que nous l'avions vu: des quatre ou cinq saules qui ombrageaient le tombeau, il n'en reste qu'un seul sur pied, et un tronc desséché presque réduit en poudre couvre la terre à peu de distance de la source. De jeunes cyprès et de petits sapins plantés de distance en distance près de la barrière qui ferme l'enceinte en sont le seul ornement. De notre temps, le fonds de la vallée était nu, mais il est maintenant couvert de sapins jusqu'à mi-côte de la pente. (source: Mameluck Ali, Journal inédit du Retour des Cendres 1840, édition Jacques Jourquin) Arthur Bertrand, fils du grand-maréchal, qui était enfant lors de l'inhumation de 1821, a lui aussi raconté de cette expédition en 1840: Nous étions pressés d’arriver au tombeau. Nous descendîmes dans la vallée par un chemin qui a été récemment ouvert. Des cyprès, quelques saules bien tristes, une grille en fer entourant trois larges dalles, voilà la tombe du héros, cette tombe devant laquelle tout front se baisse avec vénération. [...] Ces deux vieux saules sous lesquels s’était assis l’Empereur, l’un debout, l’autre couché par terre mort de vieillesse, lui! [...] Dans le circuit qui renferme le tombeau, tout a été soigneusement conservé. Les saules y sont verts, et des cyprès abritent l’espace étroit où dort, d’un sommeil éternel, celui qui a rempli l’univers de son nom, et pour lequel le sort semble avoir épuisé tout ce qu’il réserve aux hommes de grandeur et d’infortune. (source: Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène en 1840, 1841) Le député Emmanuel Pons de Las Cases, fils du comte Las Cases auteur du célèbre Mémorial de Sainte-Hélène, qui avait quitté l'île avec son père en fin 1816 alors qu'il était adolescent, rapporta des détails plus précis car il faisait l'inventaire de ce qu'il voyait et en prenait aussi des mesures: Autrefois, deux saules pleureurs ombrageaient la tombe. Un seul reste encore ; l’autre est mort. Mais dix-huit petits saules ont été plantés depuis. On dit que c’est par les soins de madame Dallas, femme du brigadier-général Ch. Dallas, dernier gouverneur de l’île. [...] Le tombeau et les saules sont entourés d’un grillage en bois peu élevé, formant une enceinte irrégulière d’environ soixante-dix à quatre-vingt pieds de diamètre. Dans l’intérieur, et touchant presque au grillage, ont été plantés circulairement trente-quatre cyprès. (source: Journal écrit à bord de la frégate Belle-Poule, 1841) Quant au Vaudois Abram Noverraz, qui avait assisté à l'inhumation de 1821 mais n'avait laissé aucun souvenir de la captivité (malgré de fausses mémoires qu'on lui a attribuées), a toutefois raconté ses souvenirs de l'expédition de 1840 qui furent publiés dans un magazine suisse: Nous avons trouvé le Tombeau comme nous l'avions laissé, excepté qu'il n'y a plus qu'un des anciens saules debout. Les quatre autres sont tombés de vieillesse; on en avait planté plusieurs, ainsi que des cyprès. Il reste deux pieds des anciens sur la place du Tombeau. Le gardien nous a reconnus et nous a donné des branches du saule qui reste debout, ainsi qu'à chacun un morceau des vieux troncs. (source: La Semaine Littéraire, 1903) Parmi les gens de l'expédition, l'abbé Coquereau a lui aussi laissé des souvenirs qui ne manquent pas de qualité littéraire: Quelques saules du côté de l’entrée; les branches de l’un d’eux pleuraient sur la tombe; de l’autre côté, étendu sur la terre, le tron d’un antique saule à demi consumé par les ans; il avait vu descendre le cerceuil impérial, peu d’années après il était tombé, et les Anglais avaient respecté la chute du vieux témoin d’une si grande sépulture. Ca et là quelques mélèzes dont les noires tiges tranchaient avec l’herbe verte qui s’étendait sur le sol. Des cyprès formaient la couronne de la vallée, dont un treillage de bois de trois pieds de hauteur, faisait l’enceinte; son diamètre était de quarante pas environ. (source: Souvenirs du voyage à Sainte-Hélène, 1841) ![]() La
vallée du tombeau (vide) en 1854 avec son entourage de jeunes cyprès
Comme en 1821 et dans les années qui suivirent, les gens de l'expédition de 1840 purent emporter avec eux des branchages du dernier saule encore debout, ainsi que le tronc du vieux saule qui s'était déjà affaissé. La chasse à cette relique a perduré jusqu'à la disparition complète du dernier saule. En 1851, Lockwood signale Ces pièces ont orné différents reliquaires que l'on retrouve dans quelques musées. Mais les pousses de ces saules ont aussi eu l'avantage, à l'inverse des mèches de cheveux de Napoléon notamment, de pouvoir se reproduire... Ainsi divers endroits du monde se targuent de posséder des saules pleureurs extraits de celui de la tombe de Napoléon. Or la Botanique a recensé quelques 300 espèces différentes de saules. On peut se poser la question de savoir quelle était l'espèce de celui qui ombrageait la tombe de Napoléon afin, éventuellement, de savoir s'il était du type "pleureur" ou non, et si les saules qui prétendent en être issus sont de la même espèce. |
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