L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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LES SAULES DU TOMBEAU
Quand la Botanique se mêle à l'Histoire

Antommarchi, médecin personnel de Napoléon à Longwood, à défaut d’avoir pu soigner son illustre patient, avait profité de son séjour forcé dans l’île pour en étudier la flore. Dans son ouvrage publié en 1825, il donna un exposé des espèces existantes du temps de Napoléon. Dans la catégorie des saules, ou Salix comme nom de l'espèce, on trouve le Salix Babylonica, dit Saule du Levant. Il le décrivit ainsi : Cet arbre est très facile à reconnaître à ses rameaux longs, grêles, flexibles et pendans (sic), qui lui font donner le nom de saule pleureur. Assez commun. Deux autres espèces encore indéterminées.

Cet arbre n'était pas natif de l'île. Il avait été apporté d'Angleterre par Thomas Brooke, un gouverneur envoyé dans l'île par la Compagnie des Indes Orientales et qui s'y était établi depuis, qui s'impliqua beaucoup dans l'amélioration des lieux. Un ouvrage de 1805 parlait déjà de l'espèce de saule vue sur place comme un "English Weeping Willow", c'est-à-dire un saule pleureur anglais (source: Francis Duncan, A Description of the Island of St. Helena, etc., Londres, 1805, page 144). Thomas Brooke lui-même, dans sa fameuse histoire de l'île (A History of the Island of St. Helena, 1808) indiqua que plusieurs espèces d'arbres avaient commencé à être introduites dans l'île à partir de 1749 sous le gouverneur Hutchinson, et que cet effort a été poursuivi par deux autres gouverneurs, Patton et Brooke lui-même.

Le Salix Babylonica est en fait originaire d'Asie, et avait été introduit en Angleterre au début du 18è siècle. Il était alors le seul saule "pleureur" et cette caractéristique particulière lui donna vite un grand succès. Le nom "Babylonica" lui a été donné en 1753 par le botaniste Carl von Linné qui pensait que cet arbre était celui dont parlait le psalmiste hébreu quand il écrivait dans son exil:
Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis là, et nous pleurions aussi, en nous souvenant de Sion. Sur les saules de cette contrée, nous avions suspendu nos harpes. (Psaume 137, versets 1-2)

Psaume 137
Psaume 137

Le terme hébreu employé pour ce mot traduit par "saule" a la même racine que le mot "soir": lettres E-R-V. Cette circonstance évoque ainsi le crépuscule des temps meilleurs du peuple hébreu devenu captif à Babylone, et n'ayant plus le goût de chanter ("nous avions suspendu nos harpes"). On considère que le botaniste Linné s'était trompé sur l'espèce d'arbre mentionné par le psalmiste, et qu'il s'agissait en fait de peupliers que l'on trouve souvent sur les bords des fleuves de Mésopotamie. Mais je pense que Linné avait raison, et qu'il s'agissait bien de saules "pleureurs", même si l'espèce avait peut-être disparu des bords de ces fleuves au 18è siècle.
Salix Babylonica selon Linné
Le Salix Babylonica selon Linné

Depuis la mort de Napoléon, le saule pleureur a souvent été associé à un arbre de tombeau. Dans son Elégie à Lucie, le poète Alfred de Musset a écrit:
Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.

Aussi on a plus tard appelé ces saules "pleureurs" des Salix Sepulcralis ! Mais cet arbre, que l'on appelle "saule pleureur" et que l'on trouve aujourd'hui communément dans les jardins à travers toute l'Europe, n'est le Salix Babylonica de Napoléon. Il s'agit d'un croisement d'espèces effectué à la fin du 19è siècle entre le Salix Babylonica, qui donne cet aspect "pleureur", et le Salix Alba (dit saule blanc, ou saule argenté, ou aubier en français), qui lui donne une meilleure résistance au climats d'Europe. Alors, pour distinguer ceux des saules qui provenaient du tombeau de Napoléon, plantés depuis dans tout le monde, on a même utilisé l'appellation Salix Bonapartea, alors qu'il ne s'agissait que de Salix Babylonica. Le saule pleureur commun, dit "golden willow" en anglais, donne des feuilles de couleur vert clair et des tiges jaunâtres, d'où son nom "golden". Le Salix Babylonica a des tiges plus sombres, un tronc plus noir, des feuilles d'un vert plus profond et édentées de façon prononcée. Il existe évidemment des caractéristiques bien plus scientifiques dans la comparaison de leurs différences.

Salix Babylonica
Des arbres Salix Babylonica

Plusieurs saules pleureurs issus de boutures prises de Sainte-Hélène ont été recensés depuis le 19è siècle. Voici quelques-une de ces histoires.

Les saules Wellington
Wellington, on le sait, a été un collectionneur de souvenirs de son ennemi vaincu à Waterloo. La statue géante de Napoléon par Canova, qui se trouve dans le hall de sa maison, Apsley House, à Londres est encore là pour en témoigner. Il n'est donc pas surprenant que Wellington ait aussi fini par se procurer des boutures des saules de la tombe de Napoléon. Elles ont donné des saules de type Salix Babylonica dans deux endroits chers au Duc de Fer : le château de Walmer, et la ville de Cheltenham, célèbre pour ses courses hippiques, où Wellington possédait quelques maisons.

Le château de Walmer, dans le Kent, a eu un long passé historique, datant du règne d’Edouard le Confesseur, avant de devenir la résidence du Duc dans les dernières années de sa vie et où il mourut. Wellington avait embelli Walmer durant les 24 années de son occupation, dont les jardins dans lesquels il avait fait planter ou entretenir des arbres ayant eu une valeur historique, notamment un acacia planté par la  reine Elisabeth I, un palmier planté par Lord Clive, et d’autres. Mais ceux-ci étaient tous couronnés par un majestueux saule pleureur issu d’une souche provenant de saules de la tombe de Napoléon. Cet arbre n'existe malheureusement plus.

Un autre saule provenant de Ste-Hélène, et attribué à Wellington, était celui qui ombrageait la fontaine de Neptune à Cheltenham, fontaine qui fait toujours la fierté de la ville et qui est la réplique de celle de Trévi à Rome. Wellington, ayant eu des propriétés à Cheltenham, aurait fait don d’une pousse de l’arbre à la ville. Le saule a malheureusement été supprimé il y quelques années à peine, en 1996, après une longue carrière auprès de cette fontaine. Mais les autorités de la ville, connaissant son origine historique, ont heureusement fait prélever plusieurs souches pour les replanter ailleurs dans la ville. Il faut espérer que, dans quelques années, ce ne soit pas un saule napoléonien mais plusieurs qui ornementeront la ville de Cheltenham !

Le Duc de Wellington était poète aussi à ses heures. Vers 1840, quoique octogénaire,  il a composé quelques poèmes dont un a été justement intitulé Salix Babylonica, ce qui montre son intérêt pour les arbres et pour celui qui nous occupe ici notamment. Dans ce poème, il a écrit, non sans penser sans doute à son ennemi d’hier :

Rise, sacred tree ! a monument to tell
How Vanity and Folly lead to Woe.


Le saule Arnott
Le médecin écossais Archibald Arnott, chirurgien-chef au 20ème régiment, après avoir vainement tenté de soigner Napoléon, non sans s’opposer au traitement que son tout aussi infortuné confrère Antommarchi souhaitait administrer au patient, avait rapporté de Sainte-Hélène une pousse du saule de la tombe. C’est dans le jardin de sa maison à Ecclefechan qu’il la fit planter. Le saule pleureur a longtemps marqué cette propriété, appelée Kirkconnel Hall, qui est toujours intacte et ce malgré l’avion de la TWA qui était tombé à côté, à Lockerbie, suite à un attentat attribué aux services secrets libyens. La maison du docteur Arnott est aujourd’hui un hôtel. Le saule a malheureusement dû être détruit lors de la construction d’une autoroute qui passe à une centaine de mètres de l’hôtel. Mais le propriétaire d’alors, un certain Dai Griffiths, connaissant la valeur historique de l’arbre, a su préserver quelques souches grâce à son jardinier, un certain Tom Eskdale, d’après un article local de 1993. Au jour de cet article, nous sommes toujours en attente de savoir, de la part du propriétaire actuel de l’hôtel, si les souches en question, apparemment replantées dans un autre endroit du jardin, ont eu du succès et promettent de donner plusieurs saules Salix Bonapartea dans le futur !

Le saule Washington
Dans un article paru en février 1928 dand la revue National Geographic Society est mentionné un saule pleureur provenant d’une souche de Sainte-Hélène. Il aurait été situé, à cette époque, à Mount Vernon près du fleuve Potomak. Comment est-il arrivé là ? En 1835, un officier français de la Marine aurait offert à l‘Amérique des souches du saule de la tombe de Napoléon pour être plantées au pied du tombeau de George Washington à Mount Vernon en Virginie. Aujourd’hui, cet arbre n’existe plus près de ce tombeau, mais des souches ont été aussi plantées, ou replantées, le long du Potomak dans le parc public où se trouve le mémorial et tombeau de Washington. On peut encore les adminrer aujourd'hui, non sans se souvenir de leur ancêtre dans une petite île perdue dans l'Atlantique Sud.

Les saules de Nouvelle-Zélande
Près de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, dans la belle péninsule d'Akaroa, se trouve un vieux cimetière français, consacré en 1847 par l’évêque catholique, Pompallier, envoyé de France. Des émigrés s’étaient en effet installés dans la région au 19è siècle. Un « French Festival » y est célébré chaque année depuis 1997. Des saules pleureurs ombrageaient encore le cimetière au début du 20è siècle et la légende locale, fort plausible, raconte que les arbres sont à l’identique de ceux qui ombrageaient la tombe de l’Empereur. Comment sont-ils arrivés là? Selon le conservateur du musée d'Akaroa, les souches des saules de la tombe de Napoléon avaient été apportés en 1838 par un baleinier, "Le Nyl". Le dernier saule du cimetière a néanmoins disparu en 1909 lors d'un violent orage. Cependant, entretemps, plusieurs boutures avaient été prises de ces saules, avant leur disparition, et on les avait reproduits avec succès et replantés le long de la rivière Avon dans la ville de Christchurch.
Les saules du cimetière d'Akaroa
Les saules du vieux cimetière français d'Akaroa

Il existe aujourd'hui encore un parc dans la ville où, sur les berges de l'Avon, le promeneur peut admirer d’admirables saules pleureurs du type Babylonica. Une plaque commémorative, apposée en 2001, explique qu’ils provenaient de la tombe de Napoléon à Sainte-Hélène et avaient été plantés grâce à des boutures rapportées par un Français du nom de François Le Lièvre.
Les saules de Christchurch
Les saules de Christchurch et leur plaque

Jusqu'ici nous n'avons malheureusement pas eu beaucoup de chance car tous les arbres issus de boutures directes de Sainte-Hélène semblent avoir péri et seuls resteraient des arbres de seconde génération. Tous? Non... Il semble qu'un arbre ait résisté à l'usure du temps. Découvrez-le à la page suivante...


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