UNE NAISSANCE À LONGWOOD Le dimanche 30 juillet 1820, ou plutôt dans la nuit du 30 au 31, naissait à Longwood Clémence, fille du domestique Saint-Denis et de son épouse Mary Hall, gouvernante d'Hortense Bertrand. Ce mariage entre le mameluck Ali et sa compagne (anglicane?) fut célébré le 16 octobre 1819 par l'officiant catholique Buonavita, non sans avoir préalablement causé quelque tension que Napoléon s'efforça de résoudre avec toute la sagesse nécessaire quoiqu'il aurait préféré arranger un meilleur parti pour son fidèle serviteur. Cette naissance était la sizième au sein de la communauté des captifs de Sainte-Hélène, après celles de Napoléone de Montholon née le 18 juin 1816 (jour du premier anniversaire de la bataille de Waterloo), puis d'Arthur Bertrand né en janvier 1817 (il participera à l'expédition des Cendres en 1840), ensuite le 2 juin 1817 de la fille Cornelia du couple de cuisiniers Michel Lepage et Catherine "Jeannette" Sablon, puis du fils de Marchand et de sa concubine Esther Vesey, lui aussi né en juin 1817, et enfin de Joséphine de Montholon née en janvier 1818 (celle qui fut sans doute une fille naturelle de Napoléon). Voici quelques témoignages sur la naissance de Clémence Saint-Denis, suivis de notes. MÉMOIRES DE
MARCHAND
Saint-Denis que l'Empereur affectionnait, était marié à une jeune Anglaise toute charmante, aussi douce que bonne et jolie [1]. Elle avait été envoyée de Londres pour faire l'éducation de Melle Hortense Bertrand, aujourd'hui Mme Thayer […] L'Empereur s'était opposé à ce mariage qui était tout d'affection pour Saint-Denis, sans aucun avantage, et qui allait priver la comtesse Bertrand de la gouvernante de sa fille; il demanda que six mois s'écoulassent avant qu'il ne se fît, pensant que le temps amènerait la réflexion chez Saint Denis. Mais cette époque était arrivée et ses sentiments étaient les mêmes, l'abbé Buonavita bénit le mariage, mais reçut de l'Empereur une vive réprimande pour l'avoir célébré sans l'en prévenir [2]. La chose faite, l'Empereur ne dit plus rien. Saint-Denis eut dans Miss Hall, une charmante femme et ses enfants une bonne et excellente mère. A l'époque où je parle, Mme Saint-Denis venait d'accoucher d'une fille qui promettait d'être jolie et qui, en effet, tint parole. Le comte de Montholon et la comtesse Bertrand la tinrent sur les fonds baptismaux. Ce jour-là, l'Empereur sortant de chez lui, alla s'asseoir en robe de chambre sous son chêne pour y déjeuner [3], puis le repas terminé, il dit à Saint-Denis: « Appelle Marchand et apporte-rnoi ta fille. » Le temps était calme et doux; Saint-Denis présenta l'enfant à l'Empereur qui la considéra avec bonté et en fit compliment au père. Saint Denis naturellement fut fort heureux de l'intérêt témoigné à sa fille; il en pronostiquait un bonheur pour son avenir. « Va, me dit l'Empereur, chercher la plus belle de mes chaînes de la Chine. » Je m'empressai d'y aller et je revins la lui présenter; l'Empereur la prit et la déposa sur l'enfant en disant : « Puisses-tu être aussi heureuse que tu prornets d'être jolie. » L'Empereur êtait d'une bonté parfaite pour nous tous. ![]() Sur le célèbre tableau de Steuben, Saint-Denis est représenté debout, sous la tenture du lit mortuaire, auprès de Marchand. MÉMOIRES DE
SAINT-DENIS
Dans le jardin de Noverraz, il y avait un petit chêne [3] sous lequel l’Empereur se plaisait assez souvent à manger son déjeuner. Un jour, le 31 Juillet 1820, qu’il déjeunait sous cet arbre avec M de Montholon et que je le servais, il me dit à la fin du repas : « Va chercher ta fille ». Et ajouta : « Dis à Marchand de venir. » Ma fille Clémence était née la veille [4]. J’exécutai promptement ses ordres et, en moins de rien, je fus de retour et lui présentai mon enfant. Pendant ma courte absence, Marchand était venu et reparti, et il revenait en me suivant, remettant à l’Empereur une chaîne du Brésil, laquelle chaîne l’Empereur avait portée longtemps à sa montre. Après avoir examiné ma fille quelques instants, il mit la chaîne en double et la lui allongea sur le corps en disant : « Voilà le premier présent que je te fais.» Une inclinaison respectueuse et quelques paroles de remerciement furent ma réponse à tant de bienveillance et de bonté de sa part. Je ne pense jamais à cette scène sans que je ne sente mes yeux se mouiller de larmes et que je ne me rappelle le petit chêne que l’Empereur nommait son beau chêne. ![]() Dans cette carte postale, représentant la mort de Napoléon, Saint-Denis est representé debout, les yeux levés, auprès de Marchand, agenouillé. RAPPORT DE
LUTYENS, OFFICIER D'ORDONNANCE
I saw him [General Bonaparte] at 10 o’clock this morning. The wife of St Denis was delivered of a daughter at three o clock this morning at which time I sent to camp for Mrs Fletcher. Traduction: Je l'ai vu [Général Bonaparte] à 10 heures ce matin. L'épouse de Saint-Denis a accouché d'une fille à 3 heures ce matin, et j'ai alors fait venir Mme Fletcher du camp [5]. NOTES
[1] Il s'agissait de Mary Hall, originaire de Birmingham, qui avait été envoyée auprès de madame Bertrand par Lady Jerningham; elle arriva à Sainte-Hélène le 26 juin 1818. [2] Madame Bertrand ne fut pas non plus prévenue, s'étant vivement opposée à ce mariage, croyant perdre ainsi la gouvernante de ses enfants, envoyée spécialement d'Angleterre pour son service. [3] Il n'y avait pas de chêne originellement à Longwood mais celui-ci, sans doute de petite taille, avait dû être planté lors de l'aménagement des jardins; cet arbre ne résista pas au climat du plateau. [4] Elle était née dans la nuit du 30 au 31 juillet 1820, à trois heures du matin, selon le rapport de l'officier d'ordonnance (voir témoignage qui suit). [5] Sans doute une nourrice, envoyée du camp de Deadwood. |
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